Machiavel



Celui qui contrôle la peur des gens devient le maître de leurs âmes.

Machiavel

mardi 19 avril 2016

Témoignage du Major Alexander P. de Seversky II

Ceux qui réussirent à s’extirper du chaos se précipitèrent vers les ponts. Il y a des raisons de croire que l’un de ces ponts s’est effondré sous le poids de la foule en panique, bien que d’aucuns soutiennent qu’il n’a pas résisté à l’explosion de la bombe. Sur les autres ponts, la pression de la population hystérique a fait craquer les rambardes, catapultant des milliers d’individus vers leur mort par noyade. Les rambardes manquantes n’ont pas été arrachées par l’explosion de la bombe comme il a été fréquemment rapporté.

À une échelle gigantesque et horrible c’est le feu, le feu seul, qui a eu les conséquences les plus lourdes en termes de vies humaines et de biens endommagés à Hiroshima et Nagasaki.

Les victimes ne sont pas mortes sur le coup dans une espèce de dissolution atomique. Elles sont mortes comme les gens meurent dans un incendie. Il est fort possible que l’onde de choc ait été suffisamment puissante pour causer des blessures internes à nombre de personnes se trouvant près du centre de l’explosion ; en particulier des blessures des poumons – un effet connu des bombardements classiques utilisant des explosifs à haut gradient.

Peut-être que certaines morts ont été dues à la radioactivité. J’ai rencontré des gens qui avaient entendu parler de morts par brûlures ou empoisonnements radio. Mais je n’ai pas pu obtenir de confirmation de première main. Les docteurs et infirmiers dans les hôpitaux que j’ai visités n’avaient enregistré aucun de ces cas-là, bien que certains avaient entendu parler de telles occurrences. J’ai également interrogé des pompiers et des employés de la Croix Rouge qui s’étaient précipités dans Hiroshima et Nagasaki dans les premières minutes après les attaques. Tous démentirent une connaissance directe d’une quelconque radioactivité rémanente.

Tels sont les faits comme je les ai rencontrés – ils me semblent suffisamment tragiques sans y ajouter une garniture pseudoscientifique. Je ne suis pas le seul à abriter cette opinion. Des observateurs scientifiques sur place à qui j’ai parlé partageaient en général mon point de vue. Rien d’officiel n’est venu du Ministère de la Guerre pour justifier les exagérations fertiles. Il n’est tout simplement pas vrai que de la matière a été vaporisée par l’intense chaleur – si l’acier s’était évaporé alors certainement le bois aurait fait de même, et le bois intact se trouvait en abondance partout dans les gravats. Dans aucune des deux citées bombardées on a trouvé de « point dénudé » tels que ceux créés lors les essais au Nouveau Mexique, et les deux zones touchées par les bombes atomiques montrent des troncs d’arbres et des murs recouverts de plantes grimpantes, invalidant ainsi les affirmations de super chaleur.

Plus j’analyse en détails mes observations, en fait, plus je suis convaincu que les mêmes bombes lâchées sur New York ou Chicago, Pittsburgh ou Detroit, n’auraient pas causé plus de morts que l’une de nos blockbusters, et les dégâts immobiliers auraient pu se limiter à des vitres cassées sur une vaste surface. Il est vrai que les bombes atomiques furent apparemment détonnées trop haut pour atteindre l’effet maximal. Si elles avaient explosé plus près du sol, les effets de la chaleur intense auraient pu être impressionnants. Mais dans ce cas l’explosion aurait pu être localisée, restreignant fortement la zone de destruction.

Trois scientifiques de l’Université de Chicago me prirent sérieusement à partie pour avoir dit que 200 B-29 chargés de bombes incendiaires auraient pu causer autant de dégâts. Ils expliquèrent que « si 200 Superforts avec des bombes ordinaires pouvaient annihiler Hiroshima comme une seule bombe atomique l’a fait, le même nombre d’avions pourrait annihiler 200 villes avec des bombes atomiques. »

Ces experts oublièrent juste de mentionner un détail – que les 200 villes devaient être aussi frêles qu’Hiroshima. Sur une ville faite majoritairement de béton et d’acier, les explosifs à haut gradient devraient être ajoutés pour avoir l’effet escompté. Une seule bombe atomique lancée sur Hiroshima équivalait à 200 Superforts ; mais à New York ou Chicago un autre type de bombe atomique explosant d’une autre manière serait nécessaire avant de pouvoir correspondre à un Superfort chargé d’explosifs à haut gradient.

Il me semble complètement trompeur de dire que la bombe atomique larguée sur le Japon était « 20.000 fois plus puissante » qu’un blockbuster au TNT. Du point de vue de l’énergie totale produite, cela est peut-être exact. Mais nous ne nous occupons pas de l’énergie libérée dans l’espace. Ce que nous devons considérer est la portion qui fut effectivement démolie. De ce point de vue, le chiffre de 20.000 est immédiatement réduit à 200 sur une cible telle qu’Hiroshima. Sur une cible telle que New York, le chiffre de 20.000 tombe à un ou moins.

Cependant, la comparaison d’une bombe atomique avec une bombe au TNT, à ce stade de développement, revient à comparer un chalumeau et une perceuse. Tout dépend de si vous essayez de brûler une clôture en bois ou de démolir un mur en béton. Tout ce qu’on peut affirmer avec certitude c’est que la bombe atomique s’est révélée totalement efficace pour la destruction d’une ville hautement fragile et inflammable. C’était l’un de ces cas où la bonne force a été appliquée contre la bonne cible au bon moment afin de produire l’effet maximal. Ceux qui ont pris la décision tactique de l’utiliser dans ces cas-là devraient être complimentés.

La bombe larguée sur Nagasaki était censé être de nombreuses fois plus puissante que celle larguée sur Hiroshima. Pourtant les dégâts à Nagasaki étaient bien moins importants. À Hiroshima, 10,6 km² ont été rasés ; à Nagasaki seulement 2,6 km². La bombe atomique améliorée, en d’autres termes, n’avait un rendement que d’un quart de son prédécesseur !

Pourquoi ? Plusieurs théories ont été proposées, mais personne n’en est sûr. Cela met en évidence le fait que quelque chose d’autre que la masse supplémentaire sera nécessaire pour produire des résultats plus importants sur la cible. Avec le temps, bien évidemment, le problème d’obtenir des résultats maximum à partir d’un missile atomique seront résolus. Les méthodes seront certainement développées pour perdre dans l’espace une moindre part de l’énergie libérée et pour mieux la diriger vers la zone à détruire.

Les scientifiques de Chicago me rappelèrent dans leur déclaration que « les bombes larguées sur le Japon furent les premières bombes atomiques jamais fabriquées. Ce sont des feux d’artifice comparé à ce qui sera développé dans dix ou vingt ans. »

C’est exactement le sentiment que j’essaye de faire passer : qu’elles en sont encore au stade de développement. L’humanité s’est plongée dans un état proche de l’hystérie à la vue des premiers résultats de la destruction atomique. L’imagination est déchaînée. Il y a ceux qui pensent que nous devrions nous débarrasser de toute autre forme de défense. Ils parlent de kamikazes qui se déguiseront, emporteront des bombes atomiques compactes dans des valises, et feront sauter ce pays. Une telle vision est fascinante, mais c’est une base dangereuse pour une vision nationale.

Concernant la taille des bombes, soit dit en passant, des propos ont été tenus par des gens mal informés. Combien de gens 'savent' que les bombes atomiques ne pesaient « que quelques dizaines de grammes » ou « quelques kilos » ? Après tout, notre bombardier le plus gros, pas un avion de chasse, a été choisi pour les transporter.

Un concours de circonstances a favorisé l’hystérie atomique. Les Japonais avaient toutes les raisons de propager des versions extrêmes. La bombe atomique leur a fourni l’excuse parfaite pour sauver la face au moment de la reddition. Ils pouvaient désormais prétendre qu’un élément presque surnaturel était intervenu pour forcer leur défaite.

La bombe a également fourni l’excuse parfaite à nos dirigeants pour sauver la face. Ils étaient sérieux quant à une invasion, insistant qu’il ne pouvait y avoir de victoire sans affrontement des armées japonaises de la manière traditionnelle. Nous gagnions contre le Japon grâce à notre supériorité aérienne, mais je suis personnellement convaincu que nous aurions continué avec le projet d’invasion dans tous les cas et payé le prix tragique et inutile en termes de vies humaines. L’inertie des préjugés était trop forte pour être stoppée.

La bombe atomique a instantanément libéré tout un chacun des engagements passés. Le cauchemar d’une invasion s’est évanoui, un miracle sauvant la vie de peut-être un demi-million d’Américains et de plusieurs millions de Japonais. Bien que les épisodes d’Hiroshima et Nagasaki aient ajouté moins de 3% à la dévastation matérielle déjà infligée au Japon par les forces aériennes, sa valeur psychologique a été incalculable – à la fois pour les vaincus et pour les vainqueurs.

La bombe atomique a parfaitement répondu aux objectifs de propagande. Pour les isolationnistes elle semblait la preuve finale que nous pouvions laisser le reste du monde livré à soi-même – avec notre avance dans l’énergie atomique et notre savoir-faire supérieur, nous étions en sécurité. Les internationalistes, en revanche, essayèrent de nous intimider en nous rappelant que nous n’avions pas un monopole de la science. Tout le monde pouvait fabriquer la bombe atomique, disaient-ils, et si nous ne jouions pas le jeu nous allions être anéantis.

Je suis de ceux qui ont lutté contre l’inertie en matière de supériorité aérienne. Par conséquent je suis satisfait qu’en termes d’énergie atomique le public est au fait, et que nous planifions bien à l’avance. Mais il n’est pas besoin des cris d’orfraie qui paralysent la compréhension. Notre seule assurance est de faire face à la vérité dans le calme.

Je demande sincèrement une période de latence quant aux spéculations atomiques, afin de permettre aux esprits de se calmer.

Je suis le dernier homme à nier que l’énergie atomique introduit un nouveau facteur vital et peut-être révolutionnaire dans le domaine de la science militaire et des relations internationales. Mais je ne crois pas que la révolution a déjà eu lieu et que nous devrions abandonner toutes nos facultés normales à une espèce de frénésie atomique. Quoi que nous décidions de faire, faisons-le dans le calme, logiquement et surtout sans faire abstraction des faits vérifiables.